Aimé soit partout le

Sacré Cœur de Jésus

 

Nous sommes un peuple pascal

1. La victoire de la Résurrection

La résurrection de Jésus répand sa lumière sur l’ensemble de l’histoire du monde, pas uniquement sur sa mort, mais sur toutes les expériences de ténèbres et de souffrance que les humains éprouvent en ce monde. C’est le triomphe de l’Amour sur le mal, la victoire d’un Dieu aimant et miséricordieux, d’un Dieu qui est Amour, Vie, Pardon et Guérison. Il ne nous donne pas toutes les réponses aux pourquoi de la vie, mais il nous donne un regard d’espérance sur la vie et soutient la conviction que, finalement, la vie ne nous déçoit pas, mais qu’elle a un sens, et même un sens suprême.

Peu avant sa mort, Mgr Cuskelly a écrit un petit livre intitulé Walking the Way of Jesus, An Essay on Christian Spirituality. Il souligne l’importance, dans notre spiritualité, de la révélation de Dieu Amour, du Dieu qui a tant aimé le monde qu’il a donné son propre Fils pour nous réconcilier avec lui. Mgr Cuskelly montre la nécessité pour nous d’avoir de la vie une vision conforme à ce principe fondamental de spiritualité. Nous trouvons bien parfois, dans la Bible et dans le langage liturgique, une expression anthropologique de Dieu qui semble contredire cette image d’un Dieu aimant et pardonnant. Mais nous devons, partout et toujours, interpréter ce mot conformément à la révélation de Dieu manifestée dans la mort de Jésus, d’un Dieu qui s’est anéanti par amour pour l’humanité. Aussi, quand nous lisons dans la liturgie "Dieu a condamné", nous nous permettons de corriger : "Dieu ne condamne pas" ! Ceci a d’immenses répercussions sur notre façon de vivre notre foi, de vivre le grand commandement d’amour fraternel, et sur notre attitude face au péché dans toutes ses manifestations. Dans Tertio Millenio Adveniente (N° 7 : j’ai changé le texte officiel pour rendre le langage inclusif), le Pape Jean-Paul II écrit :

En Jésus Christ, Dieu ne parle pas seulement aux humains mais il les recherche... Pourquoi les recherche-t-il ? Parce qu’ils se sont éloignés de lui, se cachant comme Adam parmi les arbres du paradis terrestre (cf. Gen 3.8-10)... En recherchant les humains par l’intermédiaire de son Fils, Dieu veut les amener à abandonner les chemins du mal dans lesquels ils ont tendance à s’avancer toujours plus. "Leur faire abandonner" ces chemins veut dire leur faire comprendre qu’ils font fausse route ; cela veut dire vaincre le mal présent dans l’histoire humaine. Vaincre le mal : voilà ce qu’est la Rédemption. Celle-ci se réalise par le sacrifice du Christ, grâce auquel la personne humaine rachète la dette du péché et est réconciliée avec Dieu. Le Fils de Dieu s’est fait homme en prenant un corps et une âme dans le sein de la Vierge, précisément pour ceci : faire de lui-même un parfait sacrifice rédempteur. La religion de l’Incarnation est la religion de la Rédemption du monde par le sacrifice du Christ, dans lequel est contenu la victoire sur le mal, sur le péché et sur la mort elle-même. En acceptant la mort sur la Croix, le Christ, en même temps, manifeste et donne la vie, car il ressuscite, et la mort n’a plus aucun pouvoir sur lui.

Dieu va à la recherche des humains, en Jésus il entre personnellement dans l’histoire humaine, il fraie avec nous en parole et en acte, s’identifie à nous en toute chose sauf le péché, va jusqu’au bout dans son amour pour nous, fait fuir le malin par son obéissance aimante à Dieu en mourant et en ressuscitant, triomphe du mal par le feu purificateur de son amour brûlant et nous ouvre le chemin de la vie. Le Pape fait grand cas du sacrifice de Jésus, de l’offrande rédemptrice de lui-même au Père en notre nom. Jésus sait qu’il est le Serviteur qui offre sa vie en expiation. Je reviendrai plus loin sur l’expression du Saint Père "la personne humaine (l’homme) rachète la dette du péché." Disons, pour le moment, que la rédemption est présentée ici comme la victoire de Dieu et de l’humanité, en Jésus, sur Satan, sur le péché et la mort. La victoire de Jésus se traduit dans la réalité de notre réconciliation par notre foi en lui. Le don du pardon de nos péchés nous est octroyé gratuitement et nous sommes transformés, aux profondeurs de notre être, en une nouvelle création. Nous recevons un cœur nouveau pour connaître l’amour de Dieu et répondre en retour à son invitation, décidés à abandonner les sentiers du mal et à choisir le chemin de la vie. Essayons de réfléchir un peu plus sur cette doctrine de notre rédemption d’une manière conforme au principe de l’amour de Dieu pour le genre humain et pour le monde entier qu’il a créé.

2. "Par ta Croix tu as sauvé le monde."

Dans les Écritures, l’action de Dieu qui, en Jésus, se réconcilie le monde est appelé la "rédemption." La rédemption, bien comprise, forme une partie importante de notre spiritualité chrétienne, et aussi de notre façon particulière de comprendre ce mystère comme MSC. Le mot rédemption peut se prendre au sens littéral, s’il s’agit de libération de captifs (prisonniers, esclaves, otages) par paiement de rançon. Il peut se prendre aussi au sens métaphorique ou analogique, avec des significations diverses selon le contexte. Le contexte de base pour le sens biblique du mot se trouve dans la libération du peuple de l’esclavage de l’Égypte par la puissante intervention de Dieu en sa faveur. Dans cette intervention de Dieu le Pharaon n’a reçu aucune rançon ! Celui-ci a simplement été mis en déroute et le peuple a été libéré ! Cette intervention a été une "rédemption", car Dieu "acquiert" pour lui-même un peuple, fait de tous les peuples sur la surface de la terre, un peuple qui est "saint" et "consacré" à lui d’une façon unique. Dieu les acquiert, non en vertu de qualités particulières qu’ils auraient, ni d’une puissance supérieure qu’ils auraient sur les autres nations. Il se les acquiert par pur amour pour eux ! C’est pourquoi ils seront son peuple à lui et devront se conduire selon l’alliance qu’il fait avec eux, alliance scellée dans le sang, qui dans la culture de ce temps-là est le signe de la vie partagée. Désormais le peuple remémorera sa rédemption par la célébration annuelle de la Pâque, avec divers rites (pain sans levain, agneau pascal, le sang sur les montants des portes, les herbes amères, diverses coupes de vin) qui les aidaient à se rappeler et à renouveler l’alliance faite avec leurs ancêtres.

La libération du peuple de Babylone est présentée dans le Second Isaïe comme un nouvel exode, une nouvelle rédemption, réalisée sans versement de rançon (cf 52.1-12). Dieu lui-même est encore le Rédempteur, mais la nouvelle alliance se fait seulement dans le fidèle Serviteur de Dieu et par lui, lui qui, tout innocent qu’il soit de tout mal, souffre cruellement et offre sa vie en expiation pour le peuple. Il devient de plus en plus clair que la rédemption est à la fois libération de l’esclavage et consécration à Dieu par un processus d’expiation et de réconciliation. La nouvelle alliance est écrite, non sur des tables de pierre, mais dans le cœur humain, le cœur du Serviteur, qui écoute la parole de Dieu et demeure fidèle parmi de grandes souffrances injustement infligées. Les prophètes reconnaissent que cette alliance, écrite dans le cœur, caractérisée par la connaissance et l’obéissance, n’est possible que grâce au don de l’Esprit. Après le retour de l’exil, un reste fidèle, les anawim, attend la manifestation finale de l’amour fidèle de Dieu qui apportera le salut à son peuple.

En entrant dans le monde, à la recherche de peuple du Dieu dispersé, "Jésus dit : ‘Me voici, je viens faire, ô Dieu, ta volonté’... Et c’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l’oblation du corps de Jésus Christ, une fois pour toutes" (Heb 10.5-10). La rédemption englobe toute la vie de Jésus, son enfance, sa jeunesse et sa maturité, sa vie publique et sa destinée finale. Dans cette plénitude de l’expérience humaine et par elle, Jésus pénètre d’une manière nouvelle (rempli de l’Esprit) dans les profondeurs du cœur humain, il partage les angoisses et les aspirations de notre être en ce monde, il vit cette profonde communion avec son Père, et ainsi amende et rachète l’humanité pour le règne de Dieu, règne de justice, d’amour et de paix. Il est l’être humain pleinement vivant, et nous sommes tous appelés à partager cette plénitude. Pour illustrer cette vérité, Jean-Paul II, dans Redemptor Hominis 8, cite Gaudium et Spes 22 :

En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de Celui qui devait venir (Rom 5:14), le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation... "Image du Dieu invisible" (Col 1:15), il est l'Homme parfait qui a restauré dans la descendance d'Adam la ressemblance divine, altérée dès le premier péché. Parce qu'en lui la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son Incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d'homme, il a pensé avec une intelligence d'homme, il a agi avec une volonté d'homme, il a aimé avec un cœur d'homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l'un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché.

S’il en est ainsi, si nous sommes libérés par la vie entière de Jésus, toutes ses actions et ses paroles, pourquoi disons-nous souvent que nous sommes sauvés par sa Croix, par son Sang, par sa Passion et sa Mort ? Est-ce là le "prix" que Jésus a dû verser pour nos péchés ? Cette analogie de payer la dette de la peine due au péché, analogie empruntée au tribunal de la justice humaine, risque dangereusement, comme le dit clairement Mgr Cuskelly, de trahir le contenu de la bonne nouvelle de notre salut en Jésus. Les Écritures parlent bien du prix à payer pour notre libération. (1 Cor 6.20 ; 7.22-23 ; 1 Pi 1.18-21 ; 2 P1 2.1) Mais ce qu’elles veulent signifier par ces expressions c’est que notre libération de la captivité, notre réconciliation avec Dieu, coûte cher à Jésus : cela lui coûte sa vie, l’effusion de son sang. (Ac 20.28 ; Eph 1.7 ; Heb 9.12 ; Ap 1.5 ; 5.9) Jésus n’a pas été condamné, puni, par Dieu. La vraie raison pour ses souffrances ce n’est pas la vengeance de Dieu qui lui aurait été infligée, mais c’est l’amour de Dieu qui a envoyé son Fils dans le monde, le désir de Dieu qu’il devienne l’un de nous, qu’il s’identifie au dernier d’entre nous, au plus abandonné, plutôt que de revendiquer un privilège. C’est ce que veut dire St Paul quand il déclare : Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous (Rom 8.32) et St Jean quand il dit que Jésus ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin. (Jn 13.1)

Pour les Juifs, la croix était le symbole de la malédiction de Dieu. Pour tous, c’était l’instrument de la mort la plus cruelle et la plus honteuse que les Romains pouvaient inventer. Pour nous, c’est le symbole de notre rédemption par l’amour dont Jésus nous a aimés jusqu’à la fin. C’est sur la croix que l’obéissance de Jésus a atteint sa perfection, qu’elle est allée jusqu’à l’extrême. La croix n’est pas un extra accidentel sur le chemin de notre libération. Elle signifie le degré extrême de l’amour de Jésus, les profondeurs du mystère de l’Incarnation. Ses branches portent les bras de Jésus qui "étendus, dessinent entre ciel et terre le signe indélébile de l’Alliance" (Prière eucharistique pour la réconciliation I). En donnant sa vie pour nous, Jésus nous entraîne à croire à son amour, nous attire vers son cœur. Alors, par la foi et les sacrements de la vie nouvelle, il purifie nos âmes du péché et scelle une Nouvelle Alliance avec nous. Ses derniers mots sur la croix c’est achevé sont le prélude du don de l’Esprit et de l’ouverture de son côté par la lance du soldat. Cela est arrivé pour accomplir l’Écriture, pour accomplir la typologie de l’expérience religieuse, non seulement d’Israël, mais aussi de l’humanité entière. En regardant celui que nous avons transpercé, en croyant en celui dont la victoire sur le péché et sur la mort est manifestée dans sa résurrection, nous (Juifs et Gentils) renaissons d’une façon merveilleuse, par pur don de Dieu, sans aucun mérite de notre part. Nous recevons le don de la vie nouvelle dans l’Esprit Saint et nous apprenons à marcher dans la voie qu’il nous a enseignée. Nous nous redisons l’histoire et affermissons la foi les uns des autres. C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon. (Lc 24.34)

La rédemption consiste surtout en ce que nos péchés sont pardonnés (Eph 1.7 ; Col 1.14 ; Heb 9.15). C’est notre libération du pouvoir des ténèbres (Col 1.13), de notre assujettissement à la loi (Gal 3.13 ; 4.5), de notre manière inutile de vivre héritée de nos ancêtres (1 Pi 1.18), de la mort (Col 2.13-14). Elle est une "rédemption d’une acquisition" (Éph 1.14), car Jésus nous a acquis par son sang (Ac 20.28) et a ainsi fait de nous un peuple qui lui appartient en propre (Tite 2.14). Par son action et par notre coopération à sa mission, Jésus attire toute la création dans une nouvelle unité en lui-même, récapitulant toute chose en une harmonieuse unité qui respecte l’intégrité du peuple et du cosmos.

3. Réparation

Jésus a-t-il fait "réparation" pour nos péchés ? Oui; il l’a fait de superbe manière ! Son amour et sa fidélité envers Dieu ont été tels qu’ils constituent une abondante source de bonté pour la famille humaine, surpassant de loin toute faute et tout péché de notre part. St Paul le dit: "Où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé." (Rom 5.20). Par sa bonté, il a plus que réparé pour notre manque de fidélité aimante. Comme Médiateur et Grand Prêtre, le don de lui-même sur la croix devient un sacrifice efficace d’expiation (Rm 3.24-25 ; Heb 2.17 ; 1 Jn 2.1-2 ; 4.10), nous purifiant une fois pour toutes du péché. Comme notre Avocat contre les accusations du mauvais, il parle en notre faveur. Comme notre Frère, il plaide pour nous sur la croix d’une façon très efficace.

Je ne connais pas assez l’histoire du dogme pour pouvoir parler de l’origine et de l’histoire de l’idée que, par la mort de Jésus, "l’homme acquitte la dette du péché." (Tertio Millennio adveniente). Je crois qu’elle vient de la théologie de la rédemption de St Anselme, selon laquelle la rédemption est le moyen de faire réparation pour le péché et pour sa peine temporelle. Selon cette théologie, la dette dont nous sommes insolvables ne peut être remise que par l’incarnation du Fils de Dieu, qui seul peut faire réparation pour nous par sa mort sur la croix. Quelle que soit la valeur de cette théologie, nous devons être conscients de ses limites. Nous lisons dans les Écritures que Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour nous racheter, nous libérer. La tradition synoptique le dit ainsi : "Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude." (Mc 10.45). Jésus a acquitté une fois pour toutes notre dette d’amour au Père. Il nous a délivrés de nos inconduites et effacé tous nos péchés par son obéissance aimante à son Père et par sa fidélité envers nous "jusqu’à la fin". Il ne s’est pas dérobé des conséquences de l’incarnation, il a été loyal jusqu’au bout, affrontant courageusement la tempête provoquée contre lui par le péché du monde à cause de sa bonté. Par cette victoire il enlève ce péché et offre à tous le pardon.

L’importance donnée au sang vient spécialement du contexte culturel du Judaïsme, pour lequel "sans effusion de sang il n’y a point de rémission." (Héb 9.22) Cependant, ce qui est important pour nous et pour le Nouveau Testament c’est la disposition intérieure de Jésus, l’amour de son Cœur. Dieu n’exigeait pas la croix comme compensation pour la dette de la peine méritée par nos péchés. N’imaginons pas tous les péchés du monde et leurs punitions accumulés sur Jésus par un Dieu vengeur à la recherche de "satisfaction". Dans tous nos efforts pour chercher une explication au mystère de la rédemption, nous devons prendre en compte la différence qu’il y a entre la justice humaine, qui tend à juger équitablement l’innocence ou la culpabilité de l’accusé et punir le coupable, et la justice divine, qui demande que le coupable reconnaisse sa faute et s’en détourne, afin d’être délivré par la grâce du pardon qu’il reçoit.

Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu - et ils sont justifiés par la faveur de sa grâce en vertu de la rédemption (dia tes apolutroseos) accomplie dans le Christ Jésus: Dieu l'a exposé, instrument de propitiation [hilasterion, qui était aspergé de sang le jour de l'Expiation] par son propre sang moyennant la foi (Rom 3:23-25).

En toute réconciliation, il est important, pour être sûr, de réparer les torts, dans la mesure où la réparation est humainement possible. Mais il ne s’agit pas d’exiger réparation jusqu’au dernier centime, comme dans la stricte justice recherchée au tribunal humain. Comme pour la "Commission Vérité et Réconciliation" d’Afrique du Sud, il faut une sincérité palpable d’intention, reconnaissance des torts causés, désir de réparer et d’embrasser une nouvelle conduite qui comporte quelque réparation, pour autant qu’elle est humainement possible, et qui surtout implique le pardon. Dans le cas de préjudice grave, la réparation est rarement possible pleinement. Elle ne peut être que symbolique, par exemple pour les offenses causant un grave préjudice ou la mort. Il y a une fatalité en ce cas et la réparation est irréalisable. Mais un processus de vérité et de compensation est nécessaire, afin de triompher de la rancune et de la haine tenace et afin d’arriver à la réconciliation et au pardon.

Il y a, dans la Passion, un aspect de réparation que fait Jésus pour nous à Dieu. Il est notre frère aîné, notre avocat qui plaide notre cause. Mettant le comble à son obéissance affectueuse au Père, il vient à notre secours en priant : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font." De même, faire réparation à Dieu pour nos péchés ne consiste pas d’abord à accomplir de bonnes œuvres (jeûne, pèlerinage, veille, aumône), mais à écouter Jésus, à croire à son amour et à sa miséricorde, à observer ses commandements, à grandir dans son amour et ainsi porter du fruit. (Jn 15.9-17) Pierre a eu l’occasion de réparer, non par des actes, mais en répondant par trois fois à la question embarrassante et précise :Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? Ensuite vient l’ordre : Pais mes agneaux..., pais mes brebis.

La venue de Dieu, en Jésus, pour rechercher ses enfants dispersés, avait pour but de détruire l’idée d’un Dieu qui veut être apaisé par le sacrifice pour qu’il renonce aux représailles qu’il avait prévu d’infliger à l’humanité. Jésus présente un Dieu qui prend l’initiative d’aimer et de faire preuve de miséricorde. La souffrance n’est pas la punition du péché, même si l’histoire de la genèse et les livres historiques de l’Ancien Testament donnent cette interprétation. Jésus a œuvré pour adoucir la souffrance par son ministère de prédication et de guérison. Il voulait guérir et alléger les fardeaux, mais pas en agitant une baguette magique sur le monde. La croix est édifiée dans la structure de ce monde tel qu’il est, et Jésus invite ses disciples à faire face à cette réalité. La croix est le symbole de toute souffrance du monde, injuste, aussi bien qu’accidentelle et inévitable. La fatigue et la douleur font partie du mystère de la vie, le côté négatif d’une réalité qui est merveilleusement positive, ouverte à la croissance et à la maturité, par la souffrance elle-même. On peut dire que l’Église, dans son ministère de soulager la douleur et la souffrance, en s’opposant à l’injustice sous toutes ses formes, a la mission "de descendre de la croix les humains crucifiés" (Sobrino). Mais la mission de l’Église n’est pas de débarrasser le monde de la croix. L’Église est plutôt appelée à suivre le chemin de Jésus. En devenant homme, il a saisi fermement la croix, embrassant la condition humaine, pour l’assumer pleinement, dans toutes les profondeurs de sa souffrance. Dans la lettre aux Hébreux il est dit : il a appris l’obéissance par la souffrance. La souffrance a contribué à sa perfection, à l’œuvre de notre rédemption. C’est comme Homme parfait qu’il nous a libérés et délivrés de la captivité du péché et de ses conséquences, de façon à créer avec nous un monde nouveau, marqué par la gloire de Pâques plus que par l’atroce agonie du Calvaire. J’aime ce passage de Gaudium et Spes 38, qui indique que la croix est profondément plantée dans l’être humain et également au cœur de l’histoire humaine :

En acceptant de mourir pour nous tous, pécheurs, il nous apprend, par son exemple, que nous devons aussi porter cette croix que la chair et le monde font peser sur les épaules de ceux qui poursuivent la justice et la paix.

C’est en suivant l’exemple de Jésus que nous contribuons à "reconquérir" la vie humaine et le monde pour Dieu. "La vraie réparation demandée par le Cœur du Sauveur se réalisera quand la civilisation du Cœur du Christ pourra se construire sur les ruines accumulées par la haine et la violence." (Jean-Paul II, lettre au P. Kolvenbach) Par notre participation au mystère pascal, à l’Eucharistie et aux événements quotidiens, "l’œuvre de notre rédemption se réalise" (liturgie romaine). Nous devenons parfaits en suivant Jésus Christ dans le don de lui-même à Dieu et aux autres. Par notre foi en Jésus, la souffrance devient pour nous aussi une source de purification de nos attaches au péché et une source de croissance dans notre communion avec lui. Apparemment, il y a même à l’œuvre, dans l’apostolat, une loi cachée, selon laquelle la puissance de Jésus se fait sentir surtout à nos moments de faiblesse et de difficulté. Ainsi l’œuvre de la rédemption continue dans l’Église, le Corps du Christ, et par elle : Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son corps qui est l’Église (Col 1.24).

4. Il m’a aimé et s’est livré pour moi

Ceci devrait désormais être clair, mais il est bon d’y insister : le don de Jésus de lui-même, son sacrifice rédempteur, est souvent et explicitement mis en lien avec son amour pour nous et pour Dieu (Gal 2.20 ; Éph 5.2,25 ; Jn 10.11,17 ; 13.1 ; 1 Jn 3.16). C’est un aspect important du mystère pour un Missionnaire du Sacré-Cœur. Certains soutiennent même que, par science infuse, Jésus connaissait et aimait chacun de nous individuellement alors qu’il entrait profondément dans sa souffrance rédemptrice à Gethsémani. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi, dit S. Paul (Gal 2.20). Si ce n’est pas vrai de Gethsémani, c’est certainement vrai du Christ ressuscité de Pâques.

Les quatre récits de l’institution de l’Eucharistie dans le Nouveau Testament gardent pour nous la signification que Jésus avait de sa mort. La dernière cène est pour Jésus un moment de partage profond et intime avec ses disciples de tout ce qu’il éprouve alors. Ce rite exprime sa mort et sa résurrection comme un sacrifice de rédemption, en contraste avec les trois principaux rites de l’Ancien Testament (la Pâque, l’Alliance du Sinaï et le Jour d’expiation). Dans l’Eucharistie nous sommes en communion avec Jésus, l’Agneau qui, en son passage de ce monde à son Père, enlève le péché du monde et nous réconcilie avec Dieu. Chacun de nous dans l’Église, quand nous célébrons l’Eucharistie, est invité à une intense participation à ce mystère d’amour : "Ceci est mon corps, livré pour vous." Son but est que nous passions avec lui de la mort à la vie, d’une existence vide de sens à une existence motivée, d’un mode de vie inutile à un nouveau mode de vie, une vie pleine de joie d’être libérés du péché et de la mort, une vie pleine d’amour en nous reconnaissant du "corps", non seulement dans l’Eucharistie mais aussi dans les autres, en chacun et chacune de nos frères et sœurs. Puisse cette joie être pleinement la nôtre à Pâques ; puisse cette grâce nous permettre d’être encore plus pleinement vivants, encore plus véritablement Missionnaires de l’amour et de la réconciliation, Missionnaires du Sacré-Cœur de Jésus. Car nous sommes un peuple pascal et notre nom est Alléluia !

Rome, 1 avril 2000

Michael Curran msc

Supérieur Général

 



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